Quand le « petit train » allait à Legé (avril 2024)

Ouverte en 1893, une ligne ferroviaire partait de Nantes, s’arrêtait en gare de Pont-Rousseau, prenait d’éventuels passagers au Chêne-Creux, avant de filer vers la campagne. La Nantes-Legé n’a pas survécu à l’avènement de la route et a disparu en 1935.

La seconde moitié du 19e siècle consacre un âge d’or du transport ferroviaire. Nantes est reliée à Paris en 1851. Puis vient l’heure du réseau secondaire. En 1875, la Compagnie des chemins de fer nantais ouvre la ligne Nantes-Pornic, qui passe par la gare rezéenne de Pont-Rousseau. Malgré des aléas, cette ligne a résisté à l’épreuve du temps. Ce n’est pas le cas de la petite ligne Nantes-Legé, dont il est bien difficile aujourd’hui de trouver des traces sur le sol rezéen, excepté dans le nom de la rue de Legé, à deux pas de la station de tramway Balinière, où passait le train.

La gare de Legé située derrière la gare de Pont-Rousseau (carte postaleenvoyée en 1932 - éditeur : F. Chapeau).
La gare de Legé située derrière la gare de Pont-Rousseau (carte postale envoyée en 1932 – éditeur : F. Chapeau).

Désenclaver le sud du département

Les origines du projet remontent à 1871. Afin de désenclaver le sud du département, des élus du Conseil général de la Loire-Inférieure (ancêtre de la Loire-Atlantique) demandent l’étude d’un chemin de fer allant de Nantes à Legé, aux portes de la Vendée, avec prolongation vers ce département voisin. Ce projet de ligne d’intérêt local est déclaré d’utilité publique en 1890.

Et, la même année, la Compagnie française de chemin de fer à voie étroite (l’écartement de la voie sera d’un mètre, alors que le standard est de 1,435 m) se voit accorder la concession de la ligne pour une durée de cinquante ans. Les travaux commencent rapidement et, avec eux, les premières divergences entre la Compagnie et les élus rezéens. Échaudée par la création de la ligne entre Nantes et La Roche-sur-Yon, qui avait impacté défavorablement l’activité commerciale à Pont-Rousseau, la municipalité Lancelot freine des quatre fers et refuse de participer au financement de la ligne. Elle s’y verra finalement contrainte.

Deux heures quinze pour un trajet de 44 km : rapide à l’époque !

La ligne est mise en service le 28 août 1893. Le train part de l’île de Nantes, traverse la Loire par le pont métallique de Pirmil (aujourd’hui bien connu des cyclistes), et rejoint, comme la ligne de Pornic, la gare de Pont-Rousseau. Il bifurque alors vers le Chêne-Creux, rentre dans Les Sorinières et termine sa course à Legé, soit un parcours de 44 km.

Deux ouvrages d’art métalliques, de respectivement 12 et 23 m de long, sont construits à Pont-Saint-Martin pour traverser l’Ognon, et pour enjamber la Boulogne, à Saint-Philbert-de-Grand-Lieu. Considéré à l’époque comme moderne et rapide, le « petit train », eu égard à l’étroitesse de ses voies, met deux heures quinze pour relier Nantes à Legé, avec des pointes de vitesse à 45 km/h en descente. Il doit faire une halte de vingt minutes à Saint-Philbert-de-Grand-Lieu pour recharger sa locomotive en eau et charbon. Et des récits nous racontent les arrêts de chauffeurs pour aller boire un verre ou ramasser des champignons !

Souvenirs de chemin de fer - Le chef de gare - Dessinés et lithographiés par R. De Moraine
Souvenirs de chemin de fer – Le chef de gare – Dessinés et lithographiés par R. De Moraine

Dans ses rames : des paysans avec leurs bêtes, des soldats, des marchandises

La ligne permet aux paysans d’accéder plus facilement à la ville, d’aller y vendre leurs produits, et accompagne l’essor économique du territoire. Mixtes, les trains transportent voyageurs, marchandises (matériaux, charbons, engrais…) et bestiaux dans des wagons spécifiques. Trois trains réguliers roulent quotidiennement dans chaque sens. Avant guerre, ils accueillent plus de 300 000 passagers par an.

Cette période est aussi marquée par une nouvelle escarmouche entre la Compagnie française de chemin de fer à voie étroite et le conseil municipal de Rezé. Ce dernier demande le 27 novembre 1910 qu’un abri soit construit à l’arrêt facultatif du Chêne-Creux. La Compagnie réplique en comptant les voyageurs, qui sont 130 à être montés à cet arrêt vers Legé en deux mois, et refuse de financer un arrêt pour si peu. Le projet est donc abandonné. Durant la Première Guerre mondiale, la ligne fait preuve de son utilité en transportant des troupes et des soldats blessés vers l’hôpital militaire de Legé. Mais déjà le déclin guette. En 1927, le nombre de passagers est deux fois moindre qu’en 1910. Le transport en car connaît à son tour un essor et affiche une rentabilité supérieure au ferroviaire, également concurrencé par la route pour le transport de marchandises. La ligne doit définitivement fermer le 1er mai 1935.

Des trains qui déraillent

La vie de la ligne Nantes-Legé est marquée par plusieurs accidents. L’un des plus spectaculaires survient seulement six jours après son inauguration ! Le 4 septembre 1893, deux locomotives se télescopent sur la commune de Pont-Saint-Martin, à la suite d’une erreur humaine. Le bilan est d’un mort et sept blessés. Les dégâts sont considérables et le trafic est interrompu durant 25 jours.

Le 24 avril 1928, un accident rocambolesque se produit à la suite de l’échappée d’un taurillon dans Rezé depuis la gare de Pont-Rousseau. Paniquée, la pauvre bête entre en collision avec la machine à la hauteur de la Balinière. Deux employés rezéens, le mécanicien Pierre Aguesse et le chauffeur Francis Danto, sont éjectés du train, le premier y perdra une jambe.

Il raconte

La révolution du train jusque dans la campagne

« Quand les gens ont vu la révolution du train avec des temps de parcours qui de journées se transformaient en heures, ils ont souhaité ce progrès chez eux. Mais les grandes compagnies ne voulaient pas investir en campagne, faute de rentabilité, déjà à cette époque… On a donc fait des chemins de fer économiques et c’est ainsi que les voies étroites ont vu le jour, parfois à l’initiative
des Départements. Ces trains étant de gros consommateurs en eau, en charbon, en graisse, on a mis des voyageurs à côté des matériaux et des bêtes pour rentabiliser ces lignes. »

Gérard Gautier, Nantais passionné par les trains et militant dans une association d’usagers