Mai 68 : Rezé dans la révolte
(mai 2018)

Le 15 mars 1968, Le Monde publie un article « Quand la France s’ennuie … ». Certains y verront l’annonce des événements de Mai 68. Est-ce que Rezé s’ennuie à cette époque ? Que se passe-t-il en mai 68 ?

© CHT

Printemps 1967. À Nantes, la révolte gronde sur le campus. Il est question de supprimer ou diminuer les bourses d’études. Du côté des syndicats, la mobilisation est forte pour protester contre le gouvernement qui veut modifier le fonctionnement de la Sécurité sociale. Des cités universitaires sont occupées. Le rectorat aussi. Les ouvriers marchent dans la rue. Les raisons de la colère grandissent. Jusqu’à ce 14 mai 1968. À Bouguenais.

Sud-Aviation, première usine occupée en France

Il est 16h. Après deux semaines de débrayages, les ouvriers de Sud-Aviation (ancien nom d’Airbus), dont un grand nombre de Rezéens, ferment les portes de l’usine. Les cadenas sont posés, voire soudés. À l’intérieur : eux et leur patron qu’ils retiennent jusqu’à satisfaction de leurs revendications. La décision de la direction de réduire le temps de travail sans compensation salariale a provoqué leur colère. « Les heures supplémentaires était le seul moyen de s’en sortir compte tenu de nos très faibles salaires », rapporte Georges Vincent, ancien ajusteur et responsable syndical CGT. Sud-Aviation est la première usine occupée en France. Les drapeaux rouges flottent sur les toits. Les chants révolutionnaires passent sur l’électrophone. Les familles apportent vivres et matériel de couchage. L’occupation va durer un mois. Les salariés de Sud-Aviation obtiendront la compensation salariale intégrale d’une heure de travail.

14 mai 68 : les ouvriers de Sud-Aviation s'enferment avec la direction. Ils refusent la réduction de travail sans compensation. Le premier et le plus long des mouvements ouvriers de mai 68 en France aura duré un mois. © CHT

Maison des jeunes, le QG des grévistes

La toute récente Maison des jeunes et d’éducation populaire de Rezé (aujourd’hui La Barakason) devient le QG des grévistes. Elle est le lieu de base des groupes, des rencontres et des débats. « L’apprenti, le jeune du lycée technique Goussier, le lycéen de Jean-Perrin, l’étudiant et le jeune ouvrier se mélangent. Chacun présentant sa façon de voir le monde. On discute avec brassage et réalisme », explique Bernard Nectoux, ancien directeur. Sous-entendu : loin des « sirènes » idéologiques du campus. « On échange avec des ouvriers en grève, des syndicalistes, des paysans. On commente les allocutions télévisées du général De Gaulle. »

Exercice pratique de démocratie

Poste de garde au sein de l’usine occupée. © CHT

Les ateliers loisirs et les spectacles sont suspendus. « Un des buts primordiaux de la Maison des jeunes était de contribuer à l’émancipation intellectuelle, sociale et à la formation civique. » Mai 68 devient un grand exercice pratique avec pour maîtres-mots : gestion autonome, fonctionnement démocratique, participation des individus. Solidaire avec les travailleurs en lutte, Bernard Nectoux est peu présent à la Maison des jeunes. Il fait le tour des clubs de jeunes, des centres sociaux et des usines de Nantes pour apporter la culture là où on ne l’attend pas. « Avec, sous le bras, Le sel de la terre, un film qui fait le récit d’une grève de mineurs d’origine mexicaine dans le sud des États-Unis, un chef d’œuvre du cinéma populaire et engagé. Je l’ai passé une quarantaine de fois ce mois de mai. »

 

© CHT, coll. Jean Lucas

Élus et agents solidaires

Les agents municipaux rezéens rejoignent à leur tour le mouvement. « Est-ce qu’il sera dit, dans l’histoire ouvrière que le personnel communal se sera désintéressé du combat mené par l’ensemble des travailleurs ? » Les élus, idem. Dès le 21 mai, le maire, Alexandre Plancher, et le conseil municipal apportent leur soutien au mouvement. « Les élus se félicitent de la détermination de tous les travailleurs et se déclarent solidaires quant aux objectifs. » Le 29 mai, le percepteur de Rezé, en accord avec le maire, décide d’assurer le paiement de tous les bas salaires et d’une indemnité pour les sans-emploi. Les syndicats remercieront cette initiative.

Que reste-t-il de 68 ?

Bernard Nectoux,
ancien directeur de la Maison des jeunes de Rezé.

Pour Bernard Nectoux, « ce fut un bon remue-méninges qui a bien secoué les esprits ». Avec le recul de ses 82 ans, l’homme juge que « cela a mis en situation ceux qui étaient déjà sensibilisés à la chose politique et pour qui mai 68 leur a fait faire un chemin supplémentaire et ceux qui ont été charmés par des sirènes, des utopies et qui se sont réveillés découragés, dégoûtés avec pour certains d’entre eux une grande période de dépression. »

Pour Jean Breteau, Rezéen, qui fut l’un des leaders du mouvement étudiant sur le campus, de mai 68, « il reste la liberté de l’information et le mouvement de la lutte des femmes. Ce fut un moment très fort de la vie sociale et politique, une remise en cause de l’autoritarisme social, familial… » Aujourd’hui, Jean Breteau accepte d’aborder cette période dans les lycées à la demande du Centre d’histoire du travail, mais aussi dans les colonnes des journaux, car Mai 68 est mis à tous les sauces et est détourné de son sens par certains. « Ça va comme ça ! »