L’Espace Diderot, une boîte noire lumineuse ! (janvier 2025)

Inaugurée en 1991, la médiathèque est née des entrailles de béton de l’ex-église Saint-André. Du lieu de culte au lieu de culture. L’architecte Massimiliano Fuksas n’a pas fait table rase du passé, en outre, il a apporté la lumière…

Ce 7 juillet 1977, la tempête frappe fort en Loire-Atlantique et les trombes d’eau qui s’abattent ont raison de la charpente de l’église Saint-André, achevée de construire treize ans plus tôt dans un quartier du Château en plein développement. Le diocèse de Nantes opère une réparation de fortune de la toiture. Mais il délaisse le bâtiment moderniste conçu par l’architecte Jacques Chenieux. Consciente du potentiel de cette coque vide, la Ville rachète l’édifice en 1984 avec la volonté de le transformer en équipement culturel. Le site est d’autant plus pertinent que le tramway doit y arriver prochainement. Un avant-projet de salle de spectacle, avec une capacité de 1 000 fauteuils, est d’abord étudié. Mais il est jugé trop coûteux et complexe. Finalement le Conseil municipal vote en novembre 1987 le projet d’une nouvelle médiathèque aux objectifs ambitieux. « L’Espace Diderot sera une très grande bibliothèque, mais également une salle de quartier, une galerie d’expositions, un endroit pour les moyens de communication les plus modernes comme l’informatique. Surtout il sera un lieu de rencontre de la population, y entrer sera un geste simple », exposait le maire de Rezé, Jacques Floch, en 1990. Les travaux ont duré quatorze mois. Le 13 juillet 1991, l’Espace Diderot est inauguré. Aujourd’hui, il accueille la médiathèque et la Maison du développement durable. Et un nouveau projet commun est en train d’être écrit. Une réflexion à laquelle vont être associés les habitants.

 

Esquisse de Fuksas, 1987 (sources : Archives municipales)

« Une refonte totale »

En 1987, Massimiliano Fuksas, architecte italien déjà réputé dans son pays, vient à Rezé pour découvrir la Maison radieuse et les travaux du nouvel hôtel de ville conçu par son compatriote Alessandro Anselmi. Durant son passage, il repère l’église Saint-André abandonnée et y décèle un vrai potentiel de reconversion. Il dépose un dossier pour le concours d’architectes , qu’il remporte. Son projet associe le respect du bâtiment originel à sa profonde transformation.
« Cette ancienne église fait partie de l’histoire de la ville, elle est l’un de ses repères ; elle fait aussi partie de l’histoire de l’architecture des années 1960 après Le Corbusier. Je suis opposé à la casse du passé ; mais respecter un lieu que l’on rénove, c’est avant tout avoir la volonté de le faire vivre et si cette vie passe par une refonte totale, alors il faut la faire », explique Massimiliano Fuksas.

 

Réunion à l’intérieur de l’église désaffectée, années 1980 (sources : Archives municipales)

Le défi de la lumière

La conservation de l’enveloppe de béton (un cube de 30 m sur 30 m et 12 m de haut) est posée comme préalable à la reconversion de l’église pour accueillir la nouvelle médiathèque. Le défi de la lumière dans ce bâtiment aux murs opaques se pose à l’architecte.
Pour le résoudre, Massimiliano Fuksas décide de rendre invisible de l’intérieur cette paroi béton en la recouvrant de fins panneaux d’aluminium. Ce parement métallique réfléchit la lumière vers une double peau en verre installée à l’intérieur de la boîte en béton. Des projecteurs ajoutent leur puissance à cet éclairage naturel. Un container de chantier entièrement peint en rouge apporte de la couleur et du dynamisme dans l’espace enfant et s’apparente à une sorte de boîte aux trésors. Au plafond, une armature métallique vitrée remplace l’ancienne charpente. Mais le béton n’a pas complètement disparu de l’espace intérieur avec le bel escalier en forme de croix qui distribue les différentes salles de la médiathèque.

 

Intérieur de l’Espace Diderot avec son container rouge (sources : Archives municipales)

Une galerie tombée du ciel !

À ce cube repensé s’ajoute un second bâtiment en zinc noir, penché à 17 degrés, aussi haut et massif que le bloc originel. Comme émergeant des profondeurs du sol pour certains ou tombé du ciel, telle une météorite, pour Fuksas, qui revendiquait d’avoir « juste organisé l’accident ! ».
Entre ces deux blocs, une faille fait office de rue et semble guider les visiteurs vers l’entrée. « Cette faille était pour moi la partie la plus importante du projet », affirme encore aujourd’hui Massimiliano Fuksas.
Autre originalité de cette « boîte noire » de 290 m² : elle est sans lumière naturelle et l’intérieur est traité avec une monochromie noire. Une obscurité volontaire puisque le lieu accueille une galerie d’exposition et de projection. Fuksas souhaite en effet un recours à un éclairage artificiel, plus maniable et moins variable que la lumière naturelle.
Ce premier projet d’envergure sur le sol français a fortement compté dans l’œuvre de l’architecte italien. « Avec ce projet, j’ai commencé à comprendre un pays formidable, un pays qui m’a beaucoup donné et auquel j’espère avoir donné aussi », confie aujourd’hui l’architecte qui a, par la suite, multiplié les projets en France, parmi lesquels les universités de Brest et de Limoges, le nouveau quartier ZAC Berges de Seine à Clichy, la Maison des Arts de Bordeaux ou encore le site des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine.

Il raconte

Massimiliano Fuksas, architecte de l'Espace Diderot

Massimiliano Fuksas ©Carola Gatta

« À l’époque, en 1987, lorsque j’ai découvert l’église dessinée par Jacques Chenieux, j’ai vu une architecture « corbuséenne », de grande qualité. Il s’agissait de mon premier vrai projet en France, un pays qui avait dans les années 1980 une forte envie d’avancer, de progresser. Pour apporter de la lumière dans le cube de béton, j’ai décidé de revêtir toutes les parois intérieures avec un papier métallique, dans lequel se forment des reflets. À l’intérieur, j’ai construit une autre boîte, de verre. J’ai ajouté un bâtiment incliné, que j’appelais « la boîte noire », pour accueillir la partie la plus contemporaine de la médiathèque. L’espace Diderot renvoie pour moi au siècle des Lumières, à la grande culture, à la façon de bâtir l’intelligence d’un pays. »