Petits métiers et grosses industries ont longtemps voisiné au bord de la Sèvre, voie de circulation et source de richesses naturelles.
En cette extrémité du Sillon de Bretagne, le schiste abonde dans le quartier de la Morinière qui abrite des carrières jusqu’au début du XXe siècle. Bien pratique, la Sèvre toute proche permet d’acheminer les matériaux jusqu’à Nantes pour construire la ville.
À marée basse, des gabares s’échouent, font le plein de sable amassé le long de la rive et repartent à plein avec la marée. À plus grande échelle, des chalands prélèvent et transportent le sable jusqu’au début des années 1970. Le sable est également utilisé par les maraîchers voisins (qui maintiennent leur activité jusqu’à la vente des dernières tenues maraîchères à des promoteurs, à la fin des années 70) dont la production est acheminée par bateaux au marché de gros du Champ-de-Mars à Nantes. Les bateliers en profitent pour « saluer » les lavandières qui rétorquent en langage fleuri…
Ces dernières sont nombreuses, professionnelles ou non, à venir battre le linge sur le quai, à même la rive ou sur l’un des 15 à 20 bateaux-lavoirs amarrés là pendant la première moitié du XXe siècle Elles voisinent avec les pêcheurs professionnels (dont un seul subsiste aujourd’hui) et les petits fabricants de toile de jute qui utilisent la rivière pour rouir le chanvre. En face, et jusque dans les années 1980, les prairies inondables, fauchées collectivement, servent de pâtures pour les vaches des petits fermiers. Quelques bovidés rappellent encore aujourd’hui cette coutume…
Une maison sur deux fait buvette…
Au XIXe, le « coin des tonneliers » à la Morinière abrite aussi plusieurs petites distilleries. Leur proximité et les tarifs d’octroi élevés à Nantes engendrent la prolifération de guinguettes et restaurants hors les murs, au bord de l’eau, but d’excursions dominicales en famille. « Le Chaland qui passe, dernier survivant de cette époque, était encore un café dans les années 1990 », se souvient Roger Faivre, habitant du quai.
En 1894, les frères Bureau, des Chantiers de la Sèvre à Vertou, mettent en service les Hirondelles, bateaux de promenade à vapeur qui transportent des centaines de passagers et les déposent sur un embarcadère déplacé chaque année pour permettre à tous les cafés de bénéficier à tour de rôle des files d’attente… Car une maison sur deux fait buvette ! Les Hirondelles, ancêtres des bateaux de l’Erdre, servent aussi en semaine au transport des ouvriers vertaviens des chantiers navals de Nantes.
Toute cette animation génère nombre de petites activités annexes : crêpières, marchands de moules, vente de la récolte des jardins familiaux…
« Rezé les couleurs »… en 1902 !
Les bords de Sèvre constituent aussi, dès la fin du XVIIIe siècle, la première zone industrielle rezéenne. Les artisans-tanneurs travaillant sur les rives dans des baraques en bois ont affaire à rude concurrence avec la grande tannerie inaugurée en 1874 à la Rousselière. Cette activité engendre une importante pollution de la rivière dont les eaux se teintent parfois de rouge (d’où le nom de « Rousses-eaux » puis Rousseau).
« Ma grand-mère m’a raconté qu’en 1902, une explosion s’est produite dans la société nantaise de produits chimiques qui a succédé en 1894 à une autre tannerie, laquelle fabriquait depuis 1848 des guêtres pour l’armée. Un énorme nuage de fumée bleue s’est répandu tout au long de la rivière jusqu’au village de la Chaussée. Sur toute la partie qui n’était pas habitée, le chemin est resté coloré très longtemps, à tel point qu’on l’appelle depuis « le chemin bleu » », explique Marie-Françoise Artaud, riveraine, membre de l’équipe d’organisation de la fête du quai Léon-Sécher, qui rappelle pendant deux jours chaque année l’intense activité qui régnait naguère dans ce qui est devenu un paisible lieu de vie.