Jusqu’au milieu du siècle dernier, Rezé était encore bordée, côté Loire, par trois îles. Depuis, elles forment corps et épousent le continent.
Les anciennes cartes montrent au nord de Rezé un petit archipel composé d’îles dont les noms ont varié au fil du temps. Trentemoult (ou Trentemoux), Norkiouse (ou North’House ou Nortiouze), île des Chevaliers (ou « aux Chevaliers », ou de « Madagascard »)… Coupées du continent par le Seil, entre Loire et Sèvre nantaise, séparées entre elles par un cours d’eau, elles comptent parmi les 53 îles dénombrées en 1665 entre Basse-Goulaine et Paimbœuf, ou les 73 évoquées en 1700 entre Saint-Sébastien-sur-Loire et l’océan.

À l’époque romaine, le Seil était un large bras de Loire navigable, Ratiatum possédait des rives et un port – dont les quais ont été mis au jour sur le site de Saint-Lupien. Au 6e siècle, le détournement de la Sèvre nantaise par un endiguement commence à tarir le Seil.
L’île de « Madagascard »
Les archives indiquent qu’en 1285, Olive, veuve de Mathieu de l’Île cède aux Templiers des terres qui prennent alors le nom d’île des (ou « aux ») Chevaliers avec ses Basse-Île en aval et Haute-Île en amont. Sur une carte de 1698 (voir ci-contre), elle est appelée « île de Madagascard » : « Sans doute à mettre en rapport avec la « Compagnie Françoise de l’Orient », fondée en 1642, qui avait obtenu du cardinal Richelieu le privilège de créer des colonies et commerces sur l’île de Madagascar*, suppose Loïc Ménanteau, géographe et chercheur, mais ce nom a peut-être été donné un peu plus tard lors de l’implantation à Nantes, en 1695, d’une salle des ventes de la Compagnie française pour le commerce des Indes orientales. » Cette bande plus ou moins marécageuse n’abrite alors depuis longtemps que quelques huttes de pêcheurs, tandis que Trentemoult, établi sur une île d’origine rocheuse, plus permanente, est peuplé dès l’Antiquité.
De moins en moins d’îles sur la Loire
Le long de la Loire, le nombre des îles diminue peu à peu, soit parce qu’elles se réunissent entre elles, soit parce qu’elles se raccordent aux bordures de la plaine fluviale… Évolution naturelle ou provoquée par l’homme, comme ce fut le cas partir de la seconde moitié du 18e siècle pour la section endiguée où se trouvent les îles rezéennes et, pour la section intermédiaire, entre 1913 et 1920, période durant laquelle de nombreuses îles furent réunies ou arasées pour faciliter la navigation dans un chenal unique et plus rectiligne.

Lieux de vie et de villégiature
Au 19e, des bacs relient Trentemoult à Chantenay, au bourg de Rezé et aux Couëts. À partir de 1850, des chantiers navals se développent, Trentemoult devient le port d’attache de capitaines au long cours qui y font construire des maisons bourgeoises dites « maisons de cap-horniers ». Des ponts sont édifiés qui relient Trentemoult à Rezé-bourg et aux Couëts ; le village connaît alors une expansion conséquente. Tout autour, et jusqu’aux années 1960, ce qui constitue aujourd’hui une zone industrielle et commerciale n’était que bocage, pâturages et marais séparés du bourg de Rezé par le lit du Seil. Un cours d’eau fluctuant selon les saisons, allant du modeste ruisseau jusqu’à l’inondation d’une vaste zone alentour en période de crue. Les plus anciens habitants se souviennent du temps où l’on patinait ou circulait en barque l’hiver entre Haute-Île et Trentemoult, où l’on se baignait l’été dans la Loire. Au début du 20e siècle, des Nantais avaient des maisons de campagne sur les îles rezéennes… De 1887 à 1958, les roquios transportent les citadins nantais qui viennent se divertir dans les guinguettes de Trentemoult, quand les Rezéens les utilisent pour aller travailler dans les usines nantaises.
Le Seil condamné par l’urbanisation
À l’est, l’arrivée du chemin de fer, en 1875, a amené de nombreux cheminots à s’installer à Haute-île devenue facilement accessible par le pont ferroviaire sur la Loire. Mais la voie unique qui dessert Pornic, Paimboeuf, Machecoul et Legé coupe le Seil en deux, ce qui provoque lors des crues hivernales, avec à l’ouest, l’inondation des prairies proches et, à l’est, celle des rues de Pont-Rousseau. À la demande des habitants et de la municipalité, la reprise de la circulation du Seil est décidée en 1916, mais ce projet est abandonné en 1922 lorsque, pour permettre l’implantation d’industries jusqu’à l’île Cheviré, l’État décide de laisser se réaliser le comblement « naturel » du Seil. Seuls travaux effectués : la surélévation de la route de Pont-Rousseau à Trentemoult. Après la Seconde Guerre mondiale, la construction de la route de Pornic parachève l’œuvre de la nature et fait disparaître l’ancien lit du Seil et les ponts au sud de Trentemoult.
Reliées au continent, les îles se transforment en quartiers. À grand renfort de remblai, les cours d’eau sont devenus routes et rues, sur les prairies remblayées et bétonnées ont poussé entrepôts, usines et magasins. Depuis, les consciences se sont éveillées. On réfléchit aujourd’hui à la manière de construire sur des terrains inondables, à adapter la ville à la nature et au changement climatique.
Comment naissent les îles de Loire
À l’approche de l’estuaire, une dynamique hydro-sédimentaire, conditionnée par les courants et niveaux d’inondations et par la remontée de la marée amène la formation de bancs sableux ou vaseux qui, au fil du temps deviennent îles et îlots. Souvent, comme pour l’île de Trentemoult, c’est un affleurement rocheux qui provoque l’accumulation des sédiments. Au 18e siècle, la navigation est forte, les naufrages nombreux. Les sédiments s’accumulent sur les épaves englouties, certaines îles sont en quelque sorte des tombeaux de bateaux…