Les « années Floch » à Rezé (novembre 2024)

Jacques Floch ou l’itinéraire d’un enfant de la guerre, qui a creusé son sillon professionnel dans la terre avant d’aller au ministère. Entre-temps, l’homme a exercé, entre autres fonctions, plusieurs mandats de maire à Rezé. Jean-Yves Cochais, ancien directeur général adjoint de la Ville, a brossé son portrait dans un livre qui vient de paraître. On y lit le parcours d’un homme, le récit d’une ville.

Qu’est-ce qui identifie Rezé ? Quand on pose cette question aux habitants d’ici ou d’ailleurs, la Maison radieuse rafle souvent la mise. Mais, il est un autre « monument » qui est souvent cité : Jacques Floch. Son socle est solidement arrimé dans le creuset familial, ancré dans le récit de Rezé, dans le récit national également. Il ne manque pas d’ouvertures, prend bien le soleil, même s’il renferme, comme tout édifice, des pièces cachées. Un livre lui est consacré, écrit par Jean-Yves Cochais, cadre retraité de la collectivité : « Jacques Floch – Aller au réel pour comprendre l’idéal ». Un titre qui prend le contrepied de la phrase de Jean Jaurès : « Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. » Pourquoi l’auteur choisit-il cette inversion ? La réponse est dans le parcours personnel, professionnel et politique de Jacques Floch, de cet enfant de « cette saloperie de guerre » (comme la qualifiait son cher grand-père Louis Floch), que l’on découvre en lisant ces 220 pages qui lui sont consacrées.

Jean-Yves Cochais et Jacques Floch
Jean-Yves Cochais raconte Jacques Floch dans le livre intitulé « Jacques Floch – Aller au réel pour comprendre l’idéal ».

Du réel à l’idéal

« Les convictions de Jacques Floch les mieux ancrées auront toujours pour origine une expérience vécue. Celle de la guerre
qui cimentera son esprit de concorde, celle de la misère agricole qui l’engagera dans la lutte contre les inégalités, celle du handicap (d’un de ses fils) qui scellera son refus viscéral de toute forme de racisme ou de discrimination. » Du réel à l’idéal. Technicien agricole, statisticien au ministère de l’Agriculture, avocat. Syndicaliste, militant, franc-maçon. Maire de Rezé (1978 à 1999), conseiller départemental, régional. Député (1981 à 2007). Secrétaire d’État à la Défense, chargé des Anciens Combattants (2001-2002). Représentant du Parlement à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (1997-2007). Président de l’association Ville et banlieue, créée à Rezé en 1983, et, de fait, l’un des inspirateurs de la dotation de solidarité urbaine, un mécanisme de solidarité pour les banlieues qui cumulent les difficultés sociales.

Personnage romanesque

Au-delà de ces titres et fonctions, c’est le parcours de Jacques Floch qui intéresse l’auteur et qui, au fil des pages, passionne le lecteur tant le personnage est romanesque. D’autant que le livre est étayé de faits et truffé d’anecdotes savoureuses.

Comment un homme sans baccalauréat, qui s’inscrit à 15 ans dans une école d’agriculture sans qu’il ne vienne du monde rural, participe au destin d’une ville, aux lois d’une nation ? « C’est l’incarnation du mérite républicain », commente Noël Mamère dans la préface. Un parcours qu’il doit « à sa capacité de travail, à sa volonté farouche d’étancher une soif de connaissance inassouvie, à ses compétences relationnelles innées, à la solide estime de soi des hommes de pouvoir… » poursuit Jean-Yves Cochais en introduction. Et une confiance en soi qui prend racine dans le creuset familial : dans sa famille, « l’opinion est totalement libre si elle est argumentée. Cet apprentissage d’une altérité apaisée est un legs inestimable de ses parents ».

 

La banlieue qui ne voulait pas être un dortoir

L’homme arrive à Rezé « par hasard », en 1964. « Avec Colette, nous nous installons au Château, rue René Guy-Cadou. » Rezé, la ville sans centre, perçue longtemps comme un faubourg de Nantes, une banlieue affublée du nom Rezé-lès-Nantes dans les années 1955, manque d’identité. Devenu maire en 1978, Jacques Floch s’y attèle et indique dans une note adressée à tous les services que Rezé n’a pas besoin de « lès Nantes » pour préciser son existence. Vive Rezé ! « Son histoire n’a rien à envier à celle de Nantes » : Jacques Floch valorise les racines bimillénaires de la ville via un plan archéologique et la mise en valeur de l’histoire locale… jusqu’à la création d’une association d’historiens amateurs, les Amis de Rezé, devenue Rezé Histoire. S’ensuivent la découverte d’une basilique paléochrétienne et le quai antique de Ratiatum. La culture sera un autre grand chantier : « Il s’agissait de mettre en avant la capacité créatrice d’une banlieue qui ne voulait pas être un dortoir ». Entre en scène l’ensemble de musique baroque Stradivaria. On fête le surréaliste Benjamin Péret. On ouvre un centre musical à la Balinière…

Il a voulu un récit pour sa ville

« Pour compenser la faiblesse du bâti historique et afficher un statut de ville innovante, Jacques Floch a voulu doter Rezé d’un patrimoine contemporain », écrit Jean-Yves Cochais. Il sera qualifié de maire « bâtisseur », en raison des bâtiments emblématiques sortis de terre sous ses mandats : les Mahaudières de Roland Castro, Michel Lameynardie et Jean-Luc Pellerin (1981), les Cap-Horniers de Dominique Perrault (1986), la mairie d’Alessandro Anselmi (1989), la médiathèque de Massimiliano Fuksàs (1991)… C’est aussi la période où l’on termine l’assainissement de Rezé (première commune de l’agglomération à s’être dotée d’une station d’épuration) et, notamment de Trentemoult, qui deviendra un charmant balcon sur la Loire. À la volonté d’embellir l’espace urbain s’ajoute la fierté « d’accueillir dans sa ville le tramway qui la transforme en territoire de centre d’agglomération ». « Rezé est fière d’être une banlieue et met en avant des atouts qui tendent à démontrer qu’elle n’en est pas une ! », explique Jean-Yves Cochais.

Jacques Floch et le comité d’entente des anciens combattants de Rezé sont à l’initiative de la construction du mémorial départemental, place Sarrail, dédié aux soldats ligériens morts durant la guerre d’Algérie et les combats au Maroc et en Tunisie.

Rezé est devenue une vraie ville. « Jacques Floch fut le chef d’orchestre d’un récit ouvert sur l’agglomération mais qui avait
pour clé de voûte d’entretenir cette fierté de vivre à Rezé. »

« Jacques Floch – Aller au réel pour comprendre l’idéal », éditions La Geste, 2024. Disponible en librairies ainsi qu’au Super U de la Galarnière et Intermarché de La Blordière (20 €).

Il raconte

Un caractère atypique qui contrastait avec un monde politique uniformisé

« J’ai mûri l’idée de ce livre au contact de Jacques Floch pour lequel j’ai travaillé à la mairie de 1982 à 1999. Ses mandats correspondent à une période passionnante qui, grâce à la Décentralisation, a totalement changé la vie des collectivités locales. Sous sa houlette, Rezé est ainsi devenue l’un des laboratoires urbains du « socialisme municipal » qui a longtemps été hégémonique dans l’ouest de la France. Jacques Floch ne s’est jamais inscrit dans une idéologie qui s’aveugle sur le réel, il est resté libre – tout en restant totalement fidèle à des principes sur lesquels il n’a jamais transigé : la nécessité de l’Europe, la lutte contre les inégalités, le refus viscéral du racisme. Cet homme joyeux, qui cachait ses blessures secrètes, n’a jamais oublié la phrase d’Alexandre Plancher (maire de Rezé de 1959 à 1978) : « Pour faire de la politique, il faut aimer les gens » ».

Jean-Yves Cochais, cadre retraité de la Ville de Rezé, membre de l’association Rezé Histoire, auteur du livre.