La Morinière, terre d’industries
(février 2014)

Acquis par la Ville il y a quarante ans, le parc de la Morinière est devenu l’un des plus beaux écrins de verdure de la commune s’étirant le long de la Sèvre. Il cache sous une nature florissante un riche passé industriel.

C’est en 1977 que le parc de la Morinière ouvre ses portes au public, après plus de trois ans de lourds travaux. Acquise en 1973 auprès des Jarnet au prix de 842 500 francs, la propriété de trois hectares n’est alors que ruines et friches. Par une décision du Conseil municipal en date du 19 octobre 1973, la municipalité d’Alexandre Plancher décide d’en faire « un parc public et un jardin public botanique ». « Des locaux d’accueil pour des activités culturelles et de loisirs » sont également prévus.

L’activité industrielle de la Morinière s’arrête définitivement après la Première Guerre mondiale.

Poudre, engrais et savon

Aujourd’hui lieu de promenade, de repos, et de jeux pour les plus jeunes, le parc de la Morinière a longtemps été un lieu de durs labeurs. Seule la haute cheminée de briques rouges, qui perce le ciel à travers les arbres, témoigne encore du passé industriel de ce site, facile d’accès par voie d’eau.

Les premières activités connues, datant du début du XVIIIe siècle, sont celles d’un dépôt de poudre de la ville de Nantes. Lui succède, sous le règne de Louis XV, la Manufacture royale d’engrais. En 1837, Thomas Dobrée fils crée, avec ses associés Charles Bonamy et Gustave de Coninck, une savonnerie à la Morinière. Il s’agit de la première en France à utiliser l’huile de palme et le suif. Venu d’Angleterre, le procédé est gourmand en eau, d’où l’implantation en bords de Sèvre. Si sa couleur rebute en France, le savon de palme jaune de la Morinière se fait une réputation outre-Atlantique. La savonnerie obtient même une médaille de bronze à l’Exposition des produits de l’industrie française, en 1839 à Paris. En dépit de ces débuts prometteurs, les entrepreneurs accumulent les désagréments et cessent leur activité dès le début des années 1840.

Le Petit Choisy, maison de maître construite au 19e par Henri Suser à côté de son usine de tannerie.

La tannerie Suser

Acquéreur du site en 1848, Henri Suser, fils d’un simple marchand cordonnier, va le marquer durablement. Ce capitaine d’industrie, né à Nantes en 1824, met deux ans à réaménager les anciens bâtiments de la savonnerie pour accueillir une tannerie corroierie. La famille Suser, qui possède une autre tannerie quai de Versailles à Nantes, fabrique des chaussures et des guêtres pour l’armée, avec un succès certain. Elle emploie près de 1 000 ouvriers sur les deux sites, dont 150 à la Morinière.

En 1854, Henri Suser est la personne qui paye le plus d’impôts à Rezé. Il est conseiller municipal de la commune de 1860 à 1875. C’est à cette époque florissante qu’il fait construire à côté de son usine une belle maison de maître, le Petit Choisy sur Sèvre, qui a résisté à l’épreuve du temps. Le belvédère du parc date également de cette époque. Mais la fortune d’Henri Suser ne profite pas à tous : les salaires versés par sa tannerie sont maigres (2,75 francs contre 4 dans la construction navale) et les grèves, comme celles de 1865, sont sévèrement réprimées. Henri Suser meurt en 1879 et son fils ne parvient pas à enrayer le déclin de l’activité.

Suser : 2e entreprise du département

La société Suser fabriquait 120 000 paires de chaussures par an (à Nantes, avec les peaux produites à Rezé). A son apogée, elle était, en chiffres d’affaires, la deuxième entreprise du département.

Arbres remarquables

Agrémenté par le service des espaces verts de centaines de plantes de terre de bruyère et de plantes à fleurs vivaces, le parc de la Morinière possède des arbres remarquables.
On peut y admirer, entre autres, un majestueux séquoia gigantea, un sophora pleureur et un ginkgo biloba. Sans oublier les vénérables platanes ancrés sur le bord de la Sèvre.

Les bleus de la Société nantaise

La Société nantaise de produits chimiques s’installe en 1894 sur le site. Elle érige deux cheminées marquées des initiales SN. L’usine fabrique des « bleus », des colorants contenant du cyanure utilisés dans l’extraction de l’or. Ils polluent la Sèvre, provoquant la colère des lavandières. L’activité industrielle de la Morinière s’arrête définitivement après la Première Guerre mondiale. Témoins muets de ces temps de bruits, de fumées, de cris et d’odeurs, deux platanes tricentenaires font toujours face à la Sèvre.

Le chemin Bleu

En 1905, une explosion frappe l’usine de la Société nantaise de produits chimiques. Fumées et poussières de cyanure bleutées teintent la Sèvre et les alentours. Le chemin partant du quai Léon-Sécher en tire son nom de "chemin Bleu". Au printemps, sur les murs du parc, les visiteurs peuvent apercevoir les traces bleues de ce passé.

À lire : Histoire du quai Léon-Sécher et des bords de Sèvre, Édition du Centre d’histoire du travail, 1998