Cette folie nantaise a été restaurée dans les règles de l’art jusque dans ses plus beaux détails. Son existence au fil des siècles épouse les méandres de la grande histoire.
Après quinze mois de rénovation en profondeur, la façade du château de la Classerie, situé au 116, rue de la Classerie, a retrouvé sa superbe à l’automne dernier. Cette « folie nantaise » – la seconde à Rezé étant le château de la Balinière – a connu quelques épisodes mouvementés à travers les siècles, après des débuts paisibles comme demeure de villégiature pour de riches familles.
Mais que sont donc ces folies, qui ont fleuri autour de Nantes au cours du 18e siècle ? À cette époque, les familles de la haute bourgeoisie et de la noblesse nantaises, enrichies par le négoce et principalement la traite des esclaves, font construire de grandes propriétés arborées pour se détendre. L’architecture en est généralement sobre et élégante. Et les volumes plutôt spacieux : la Classerie comptait ainsi pas moins de dix chambres au premier étage ! D’où le mot « folie », associé aux dépenses fastueuses engagées dans ces petits châteaux et les fêtes qui s’y déroulaient. Une autre hypothèse (selon le Littré et Alain Rey) le rattache au mot latin « folia », la feuille, en référence à ces demeures à l’abri de feuillages où chacun pouvait vivre un moment en toute discrétion.
L’empreinte des Darquistade
Aux origines de la Classerie, on trouve une première propriété érigée par la famille Le Meneust au 17e siècle. C’est au siècle suivant que ce bâtiment devient une folie sous la conduite de René Darquistade. Ce riche armateur, qui fut maire de Nantes, possédait également une demeure place de la Bourse à Nantes et le château de la Maillardière aux Sorinières. On trouve le blason des Darquistade au fronton de la façade côté parc.
En dessous figurent deux éléments sculptés représentant l’un une corbeille de fruits et de fleurs, l’autre des instruments de jardinier. Des motifs qui rappellent la passion pour la botanique qui animait René Darquistade. Ces sculptures, qui s’effritaient, ont été restaurées par des ouvriers de l’entreprise Lefèvre, spécialisée dans le patrimoine bâti et chargée du lot maçonnerie gros œuvre pour la restauration de la Classerie. Des matériaux identiques à ceux d’origine, tuffeau et granit, ont été utilisés durant le chantier de rénovation. « Une partie de l’enduit d’origine a été préservée pour permettre de conserver la mémoire du lieu et en même temps de s’en inspirer pour reproduire un enduit d’aspect similaire », relate Céline Fourrichon, ingénieure, au sein de la direction municipale du bâti, qui a conduit l’opération.
Incendié à la Révolution, occupé par les Allemands
Au 18e siècle, la Classerie appartient aux Mabille des Granges, des fonctionnaires royaux originaires d’Anjou. Ils sont soupçonnés pendant la Révolution d’avoir utilisé leur demeure pour héberger des insurgés. La Classerie est pillée et incendiée mais échappe à la destruction. « Sous la charpente, nous avons constaté des traces de l’incendie
sur les pierres. La restauration permet aussi de lire l’histoire du bâtiment », note Céline Fourrichon.
En 1793, Jean Clair Mabille des Granges est traduit devant le Tribunal révolutionnaire à Paris mais sauve sa tête. On le retrouvera plus tard, entre 1803 et 1813, au Conseil municipal de Rezé.
La Classerie connaît ensuite différents occupants et est achetée en 1924 par un marin, le commandant Banal. Durant l’Occupation, le château est réquisitionné par les Allemands, reléguant son propriétaire dans le logement du jardinier, et subit de grosses dégradations. Faute de pouvoir financer sa remise en état, le propriétaire de la Classerie est contraint de la vendre. L’association Espérance Sport y installe une école d’éducateurs spécialisés, au cadre arboré apprécié des élèves et des enseignants.
La Ville décide en 2008 de racheter le site pour y installer un pôle associatif. Les services sports et vie associative, ainsi que l’Arpej, occupent aujourd’hui le bâtiment. Face aux menaces pesant sur la pérennité des façades, le chantier de restauration a donc démarré à l’été 2022. Le coût global de l’opération, qui a redonné à la Classerie son éclat d’origine, s’est élevé à 714 360 € TTC.
Elle raconte
Notre parti pris a été de garder au maximum tout ce qui pouvait être restauré
« Le bâtiment n’est ni classé, ni inscrit, mais nous nous sommes donné les mêmes contraintes que s’il l’était. Nous avons fait appel à un architecte du patrimoine parisien, aux compétences spécifiques, car nous n’avions pas cette expertise à la Ville. C’était pour moi un projet inhabituel à conduire côté maîtrise d’ouvrage. Je suis très sensible au patrimoine, aux monuments historiques et à l’importance de les conserver en faisant intervenir des équipes compétentes. Quatre entreprises spécialisées dans le patrimoine sont intervenues sur la Classerie. Les échanges avec tous les participants ont été très enrichissants. J’avais déjà eu plaisir à travailler sur un autre fleuron du patrimoine rezéen, la Maison radieuse, pour la rénovation de l’école située sur le toit. »
Céline Fourrichon, ingénieure à la direction municipale du bâti, a conduit cette opération de restauration.