À Rezé, Évelyne-Crétual, c’est le nom d’un gymnase. Lorsqu’on cherche sur le web qui était cette femme, c’est d’abord le gymnase que l’on trouve ainsi que dans la catégorie « images », celle, en noir et blanc, d’une jeune femme aux cheveux frisés, en survêtement, raquette de ping-pong dans la main gauche, le regard rivé sur la balle. Et puis le gymnase encore, et un avis de décès indiquant un âge : 42 ans. Pas la moindre page Wikipédia.
Et pourtant…
Le déclic en lisant le journal
Née le 9 mars 1955, Évelyne Crétual a 16 ans lorsqu’elle lit dans un journal un article sur le sport handicapé. Un vrai déclic pour la jeune fille. Elle entre en 1982 à l’AEPR ( sigle pour anciens élèves de Pont-Rousseau, nommée depuis amicale laïque de Pont-Rousseau) qui, dans son sillage, développera une section de tennis de table handisport. Son talent et son acharnement portent rapidement leurs fruits, et Évelyne participe bientôt à des compétitions en individuel et par équipe, en régionale féminine et en division départementale II masculine… faute de section féminine à l’AEPR. Sa tactique : bouger le moins possible et amener l’adversaire à la faute, en rattrapant tous les styles de service, même les plus travaillés. Son niveau lui permet également de rencontrer des valides en compétition.
L’or à New York, l’argent à Séoul
En 1983, elle est championne d’Europe. En 1984, elle participe aux Jeux paralympiques qui se déroulent à New York, avant les Jeux olympiques de Los Angeles. Elle rapporte deux médailles d’or, en individuel et par équipe. En 1986, elle remporte le titre dans sa catégorie lors du deuxième championnat du monde de tennis de table handisport qui se déroule à Dijon. En 1988, elle est aux Jeux paralympiques de Séoul, où, par équipe, elle rate d’un cheveu le haut du podium, s’inclinant en finale, avec un très faible écart de points, devant une joueuse chinoise. Son équipe ne remporte « que » l’argent.
En épreuve individuelle, la Rezéenne est contrainte, par manque d’inscrits dans sa catégorie, de jouer dans une catégorie supérieure où elle obtient néanmoins la 5e place. Dans le magazine Sport à Rezé*, elle raconte : « À Séoul, on a eu quatre jours pour s’adapter aux tables coréennes que personne ne connaissait. Elles étaient “lentes”. » De ces Jeux paralympiques, les premiers à se dérouler dans la même ville et seulement quinze jours après les Jeux des valides, elle retient aussi les cérémonies d’ouverture et de clôture : « On a eu le grand frisson : entrée par un couloir pour déboucher dans le stade comble. Cent mille personnes ! ».
À force de jouer, on en oublie les différences
Hors compétition, Évelyne Crétual donne de son temps au monde handisport. Quelques mois avant son décès en octobre 1997, elle participait à l’organisation du championnat de France à Rezé. Militante active à l’AEPR, elle a entraîné les joueurs valides et handicapés, préconisant pour ces derniers la pratique sportive avec une stratégie : « Développer ses qualités, gérer son handicap, affronter son adversaire, aussi solide soit-il. Pour nous, c’est la meilleure solution, car elle nous permet de côtoyer d’autres personnes, de ne pas rester en cercle fermé. À force de jouer, on en oublie les différences. »
Marlène Canguio, Rezéenne d’adoption, première Guadeloupéenne aux JO
Avant Évelyne Crétual, une autre Rezéenne – d’adoption – a représenté notre ville aux Jeux. Née à Sainte-Rose en Guadeloupe le 10 mars 1942, Marlène Canguio a 15 ans lorsqu’elle vient rejoindre son père à Rezé. Son truc à elle, c’est l’athlétisme, tendance multitalents : hauteur, longueur, haies, épreuves combinées. Elle s’entraîne au Racing athlétic-club cheminot de Nantes, le Racc.
Première Guadeloupéenne en équipe de France (où elle cumule 31 sélections), elle est championne de France au 80 m haies en 1963 et 1964, au saut en longueur en 1967 et au 100 m haies en 1969. Elle devient en 1964, à Tokyo, la première Guadeloupéenne à participer aux Jeux olympiques, où elle termine huitième lors de la finale du quatre fois 100 m haies.
Une blessure l’empêche de participer aux Jeux de Mexico pour lesquels elle était sélectionnée. Marlène Canguio est retournée vivre en Guadeloupe.
Il raconte
Évelyne faisait partie de la section de tennis de table handisport de Nantes
Après un désaccord, Évelyne rejoint, avec d’autres pratiquants, l’AEPR, qui crée sa section. Nous avons ainsi fourni une partie de l’équipe de France pendant plusieurs années ! Nous étions l’un des rares clubs équipés pour organiser le championnat national, à l’Ouche-Dinier. Nous y avons vu des performances époustouflantes. Le handisport était alors très peu médiatisé, les titres remportés par Évelyne ne lui ont pas valu la notoriété qu’elle méritait. C’était une femme bien, sympa, intéressante, investie, très appréciée. Après sa mort brutale, la section, privée de son moteur, a disparu doucement.
Robert Hugotte, ancien président de l’AEPR