La liaison entre Nantes et le Sud-Loire a revêtu une importance capitale à travers les âges. Retour sur l’histoire tourmentée des ponts.
« Développer les relations avec le Sud-Loire sans entraver le trafic portuaire, telle est la préoccupation constante des Nantais », écrit le Trentemousin André Péron dans son ouvrage consacré à l’histoire des ponts de Nantes.
Une « route des ponts » stratégique
Cette histoire s’est longtemps réduite à « la » ligne de ponts traversant les prairies insulaires pour relier Nantes au Sud-Loire. Ces six ouvrages (ponts de la Poissonnerie, de la Belle-Croix, de la Madeleine, de Toussaint, des Récollets et de Pirmil), mentionnés par des textes du 12e siècle, se présentent à l’œil comme une continuité, une véritable « route des ponts ». Les écrits de voyageurs passés par Nantes en attestent.
En 1118, le duc Conan III fonde le prieuré de la Madeleine sur les îles de Loire et confie aux religieux de l’abbaye de Toussaint-d’Angers la charge d’entretenir « le pont de Nantes jeté sur la Loire de rive en rive sans interruption depuis Pilemil jusqu’au mur de la ville (…) ainsi que tous les revenus qui s’ensuivent, tant par eau que par terre ».
Aux carrefours de la Bretagne et du Poitou, de l’océan Atlantique et du bassin ligérien, cette succession de ponts revêt un intérêt stratégique pour la Cité des Ducs. Les marchands l’utilisent pour approvisionner les Nantais en denrées. Elle sert également, un temps protégée par la forteresse de Pirmil, à empêcher toute intrusion par le Sud. C’est ainsi qu’en 1793 les troupes vendéennes de Charette restent bloquées à Pirmil. Ce dernier, long de 250 mètres et véritable porte vers le Sud, est prolongé depuis le Moyen-Age par le pont Rousseau, qui mène à Rezé en traversant la Sèvre. C’est aux abords de ce pont qu’est perçu l’octroi (taxe que la municipalité percevait sur les marchandises, c’est une sorte de droit d’entrée).
Une lutte incessante
Si les ponts sont de nos jours des axes où l’on vise la fluidité du trafic, ils sont à l’époque des lieux de vie. Maisons sur et autour des ouvrages, pêcheries au pied, moulins, hospices et commerces à proximité, les activités sont multiples et s’opposent parfois entre elles. Les pêcheries sont ainsi accusées de détériorer les ponts. Les crues et les glaces charriées par le fleuve se chargent de rompre périodiquement l’indispensable ligne de ponts. « Toujours en travaux, régulièrement endommagée par les crues et réparée, cette route des ponts illustre la lutte incessante qui oppose les Nantais à leur fleuve », résume André Péron.
Les coûts d’entretien en deniers et en énergie expliquent pour partie qu’il faut attendre 1966 pour voir naître la seconde ligne de ponts, pourtant souhaitée dès le 18e siècle ! Entre-temps le pont ferroviaire de Pornic a contribué à désenclaver le Sud-Loire. Cet ouvrage métallique construit en 1892 est le premier à franchir la Loire depuis Rezé. Ouvert en alterné aux voitures, il sert jusqu’en 1995 aux Rezéens à éviter les bouchons de Pirmil. Face au développement urbain du Sud-Loire, la période moderne voit les constructions se succéder. En 1991, on inaugure l’impressionnant pont de Cheviré, à la fois urbain et périphérique. En 1995, le pont des Trois-Continents relie Rezé à la Prairie-au-Duc. Pour André Péron, ces deux réalisations ont profondément modifié « la carte mentale » des habitants du Sud-Loire. « Ces ponts ont contribué à penser les relations avec le nord autrement, à resserrer le lien à l’ensemble de l’agglomération », estime-t-il.
Quel rôle jouera le futur franchissement dans le développement urbain ? Quel sera son impact sur l’ensemble des modes de déplacement, y compris fluviaux ? Les choix faits seront à ausculter car « tout nouveau franchissement est une occasion de faire avancer la réflexion sur la ville, sur l’agglomération », conclut André Péron.
Pirmil à travers les âges
En bois à l’origine, le pont de Pirmil est reconstruit pour partie en pierre à la fin du 16e siècle. Il est malgré cela emporté quatre fois par les crues au siècle suivant. Fameuse, la crue de 1711 emporte cinq de ses arches. L’écroulement du pont en 1924 est lui aussi resté dans les mémoires. Dynamité par les Allemands en 1944, le pont est reconstruit en 1947. Il est doublé en 1984 pour accueillir bus et tramways.
Une république sur les ponts
Les habitants des quartiers des ponts avaient la fibre identitaire. Ce sentiment d’appartenance culmine en 1925 avec la proclamation de la République des Ponts. Les « Pontenois » se donnent un président-maire, Aimé Delrue, et rebaptisent Pirmil « pont de l’Indépendance ». Festif, le mouvement joue aussi un rôle social sur la ligne des ponts.
Plus d’infos
- Sur les ponts de Nantes, André Péron, Editions Ressac
- Les ponts de Nantes d’hier et d’aujourd’hui, André Péron, Coiffard Libraire Éditeur
- Des images sur le site web de Maurice Racinoux