Ces Rezéennes Justes parmi les Nations (mars 2024)

Rezé est représentée au mémorial de la Shoah à Jérusalem par deux femmes, Marie-Yvonne Rahir et Henriette Bochereau. Elles ont été reconnues Justes parmi les Nations pour avoir sauvé deux enfants juifs pendant l’Occupation.

En février 1944, mon père a été arrêté à Levallois-Perret puis déporté à Auschwitz.
Pour me protéger, ma mère m’a envoyé en province.

Avant que je monte dans le train, elle m’a dit : « une dame avec un journal sous le bras t’attendra sur le quai de la gare à Nantes ».

Cette dame, c’était Marie-Yvonne Rahir. Celui qui en parle, c’est Loulou, l’enfant juif qu’elle a recueilli et protégé pendant l’Occupation.

 

 

Portrait de Marie-Yvonne Rahir

Ni haïr, ni trahir.

Née en 1898, mariée à 20 ans à Rezé, Marie-Yvonne a vécu avec son mari, militaire dans l’armée coloniale, à Beyrouth puis à Alger. En 1927, les époux Rahir s’installent à Nantes, puis font construire une maison à Rezé en 1933, rue Georges-Boutin.

Sur la façade figure la devise familiale : « Ni haïr, ni trahir. » Ce jeu de mots avec leur patronyme correspond aussi à des convictions ancrées. Marie-Yvonne, qui ne peut enfanter, adopte en 1942 une petite fille, Maryvonne. Puis accueille et cache pendant près de deux ans un enfant juif, Léon-Claude Pergament, dit « Loulou », âgé de 7 ans. Quand il se blesse gravement à la jambe, Marie-Yvonne remue ciel et terre pour éviter une amputation, et va jusqu’à l’amener, nuitamment, à l’hôpital de Nantes, pour qu’il soit opéré discrètement, à la morgue – et sans anesthésie.

Loulou et Maryvonne Garreau
Loulou et Maryvonne Garreau

Loulou et Maryvonne réunis en 2016 à Rezé

Elle demeure ensuite à son chevet durant plus de deux mois, jusqu’au rétablissement du petit garçon. « Maman aimait par-dessus tout s’occuper des autres. Elle considérait Loulou comme son propre fils. Elle a tout fait pour qu’il guérisse », rappelait Maryvonne en recevant en 2016 la médaille de Juste parmi les Nations remise à sa mère à titre posthume.

« C’est grâce à elle que je suis sur mes deux jambes aujourd’hui », ajoutait avec émotion Loulou, revenu à Rezé à cette occasion. Devenu Dov Pereg et vivant en Israël depuis 1954, « Loulou » avait d’abord enfoui l’histoire pour mieux se reconstruire, avant de revenir à Rezé, en 2009, avec ses fils et petits-fils, pour tenter de retrouver celle qu’il appelait « maman Rahir », malheureusement décédée en 1987. C’est un travail mené par Laurent Priou, enseignant au lycée Goussier, avec ses élèves, qui a conduit à la reconnaissance de l’action de Marie-Yvonne, dont le nom figure depuis 2014 sur le mur des Justes à Jérusalem.

Loulou et Maryvonne réunisà la cérémonie en 2016.
Loulou et Maryvonne réunis à la cérémonie en 2016.

Deux Henriette pour sauver Édith

Henriette Bochereau, alors Henriette Launay, n’a que 19 ans et vit à Saint-André-de-la-Marche (Maine-et-Loire) lorsque, avec sa mère qui porte le même prénom, elles hébergent Mireille Prymak et Édith, son bébé de quelques semaines, jusqu’à leur retour à Paris.

Mais, en juillet 1942, le père d’Édith est arrêté et déporté à Auschwitz et Mireille veut protéger sa fille. La jeune Henriette prend alors le risque d’aller chercher Édith pour la ramener à Saint-André. La fillette passe quatre ans chez les Launay – qui ont aussi aidé une de ses tantes à se cacher à Saint-André. Édith a gardé le souvenir d’une enfance heureuse, sans séquelles traumatisantes, grâce à l’amour et l’affection d’Henriette Launay et de sa fille qui la sauvèrent, elle mais aussi sa mère, qui n’aurait pu survivre et travailler avec une enfant à sa charge.

« Que son devoir »

C’est à Rezé où elle s’était installée que Henriette Bochereau a fêté ses 100 ans en 2019, en présence d’Édith, restée proche d’elle jusqu’à sa mort en 2020.

Henriette dite « Lélette » avait reçu en 2003 la médaille des Justes parmi les Nations (remise également à sa mère à titre posthume) : « Cette médaille était assortie de la Légion d’honneur, mais maman n’en voulait pas, considérant qu’elle n’avait fait que son devoir, raconte sa fille Françoise. Elle a fini par se laisser convaincre de la recevoir au nom de ceux qui auraient dû être honorés et ne l’avaient pas été.

Néanmoins très fière de ce qu’elle avait fait, elle a ensuite passé quatre ans à témoigner dans les collèges…

Elle m’a appris qu’aider les gens qui en ont besoin, c’est tellement important. Qu’on n’avance pas si on n’est pas solidaire. Maman a toujours été un modèle pour moi. »

Henriette Bochereau médaillée de la légion d’honneur et médaille des Justes

Il raconte

J’ai accompagné ma mère en Israël...

« Ma grand-mère était une femme discrète, menant une vie simple. Son prénom usuel était Marie. Fille d’agriculteurs, elle s’occupait du jardin. Le soin des fruitiers était sa mission. Je me souviens que mes grands-parents échangeaient avec les voisins les revues auxquelles les uns et les autres étaient abonnés. Mon grand-père militaire était un fidèle du maréchal Pétain, il avait répondu à l’appel du service du travail obligatoire et est revenu d’Allemagne en 1945. Ma grand-mère était portée par des valeurs religieuses et son désir d’enfants. J’ai accompagné ma mère en Israël pour voir le nom de Marie-Yvonne Rahir sur le monument du Yad Vashem. Sur le mémorial de la Shoah à Paris figure le nom du papa de Loulou, mort à Auschwitz. »

Jacques Garreau, petit-fils de Marie-Yvonne Rahir, devant la maison de ses grands-parents à Rezé