Père, mère et fille jetés dans la Grande Guerre
(novembre 2018)

1914-1918. La Grande Guerre. Plus de 1 400 Rezéens sont mobilisés. Les nouvelles du front rapportées sont celles de ces hommes parmi lesquels Julien Cottier. Il est marchand de charbon à Saint-Paul. De 1915 à 1918, lui, sa femme et sa fille vont s’adresser des centaines de cartes. Il y est question du front, de la vie qui se poursuit à l’arrière. Durant cette longue et sombre période, chacun s’inquiète pour la vie de l’autre.

« Ma chère petite Marguerite, je suis en bonne santé et j’espère que vous êtes de même, toi et ta maman. Sois mignonne. Prie le bon Dieu pour ton papa. Je t’embrasse, ton papa qui t’aime. » Cette carte postale de 1915 est adressée depuis Wanquetin (Pas-de-Calais) par Julien Cottier. Né en 1872, il a incorporé le 82e régiment d’infanterie territoriale. Sa femme et sa fille, toutes deux prénommées Marguerite, se retrouvent seules à Rezé.

L’épouse prend la suite de son mari et fait commerce du charbon. Il lui faut en trouver dans le département – ce qui est une gageure en ces temps de pénurie – pour pouvoir ensuite le vendre dans le Pays de Retz. Depuis le front, Julien la conseille tout en lui donnant des nouvelles de sa situation, tantôt en faction dans les villes du nord et de l’est de la France, tantôt dans la boue noire des tranchées.

Durant ces quatre années, séparés par plus de 700 km, mari et père, épouse et fille s’écrivent tous les deux-trois jours. Une relation épistolaire pour s’épauler, donner des nouvelles de sa santé, pour dire le manque de l’autre et le ras-le-bol de cette guerre. Un récit émouvant qui dit l’âpreté, la rudesse de ces temps de guerre et la souffrance de savoir l’autre dans la peine.

Il écrivait du front, elles lui répondaient de Pont-Rousseau

Pont-Rousseau, 7 août 1915

« Mon cher Papa, en allant à Vue, j’ai vu des tranchées sur la route de Paimboeuf. (…) Je me fais bien de la peine de penser que tu passes ta vie dans l’eau et la vase. Je voudrais bien que la guerre soit finie pour que tu reviennes bientôt. Ta fille qui t’embrasse de tout son cœur. Marguerite »

Pont-Rousseau, 26 février 1916

« Mon cher Papa, hier, j’ai reçu ta carte du 23. Tu nous dis que tu as reçu les lettres de maman mais tu ne dis pas si tu as reçu ton argent. Je suis bien contente que tu sois remis de ton vaccin. Tu nous dis que tu as de la neige. Chez nous aussi. Et ça tombe tout le temps. C’est impossible pour les chevaux de marcher. Bien  vite le beau temps et la fin de la guerre. Tante Eugénie dit qu’elle irait bien donner de la soupe aux soldats. Dépêche-toi à prendre des permissions, maman te fera des crêpes à Carnaval. Ta fille qui t’aime de tout son cœur. »

28 février 1916

« Chère petite Marguerite, je reçois ta carte du 26. Je suis bien content que vous soyez en bonne santé mais aussi j’ai reçu 4 billets de 5 francs. Tu peux dire à Tante Eugénie qu’elle vienne donner la soupe aux soldats mais elle ne pourra pas la donner à tous car il y en a trop. Elle n’aura pas chaud à le faire car il y a de la neige. Moi, je l’ai fait hier et j’en avais tout mon comptant. Je n’irai pas manger des crêpes à Carnaval car les permissions n’ont pas repris. J’irai peut-être à la Mi-Carême et l’on mangera des crêpes quand même. En attendant ce beau jour, je vous embrasse toi et ta maman. Ton papa qui t’aime. »

Heilz le Maurupt (Marne), 3 mai 1916

« Chère Marguerite, nous faisons des tranchées. Nous ne sommes pas malheureux. On ne sait pas grand-chose pour les permissions. »

22 juin 1916

« Chère Marguerite, j’ai reçu ta lettre du 18 juin. Je suis content que vous soyez en bonne santé. Moi aussi. Je suis toujours le même. Il fait beau temps. Tu dis que tu vas perdre la tête, il faut en prendre et en laisser. La guerre va peut-être finir bientôt. Les Autrichiens sont battus (si c’est vrai car je ne crois pas grand-chose de tout ce que l’on dit). »

Pont-Rousseau, 22 décembre 1916

« Cher Papa, hier j’ai reçu ta carte du 17 décembre. Tu nous dis que Monsieur Dourneau doit venir en permission dans 8  jours. Je voudrais plutôt que ce soit toi. Voilà Noël qui arrive, je prierai bien le petit Jésus pour que tu reviennes bien vite avec nous. »

Nancy, 1er janvier 1917

« Hier soir, j’ai reçu la carte de Marguerite qui m’a fait bien plaisir. Espérons que l’année prochaine, elle n’aura pas cette peine. Car peut-être cette maudite guerre sera finie. Aujourd’hui, jour de l’an, je n’ai même pas eu le temps d’écrire, je me suis lavé car nous sommes sales, comme si l’on s’était traîné dans la boue. On y est jusqu’aux jambes. Enfin, c’est la guerre. J’ai reçu une lettre de mon filleul de Maisdon et une de Gaston, de ma nièce et de Jules. Il faut que je rende réponse. Je n’ai guère le temps : nous partons à 5h30 du matin et rentrons à 5h du soir. Quand la soupe est mangée, on va se coucher. »

Pont-Rousseau, 24 janvier 1917

« Mon cher Papa, je te souhaite une bonne fête. J’aurais été bien contente si tu étais venu en permission. J’aurais pu te souhaiter ta fête. Nous n’avons pas ce bonheur-là. Je serais contente de te voir et de t’embrasser, de me mettre sur tes genoux auprès du feu car il fait grand froid. Ta fille qui t’aime. »

23 mai 1918

« Chère Marguerite, je reçois ta carte du 20. Je suis heureux que vous soyez en bonne santé. Il fait chaud mais il ne mouille pas. Je ne connais rien de nouveau, c’est toujours pareil. L’on s’ennuie et puis c’est tout. Il n’y a pas de fin possible. Il y en a encore bien pour 20 ans de guerre. Tant qu’il y aura des hommes, la guerre durera. Mais il n’y a rien à y faire, une chose : attendre la mort en patience et c’est tout. Pour mon colis, je l’ai reçu en bon état. Plus rien à te dire. Je vous embrasse ton mari et papa qui vous aime. »

Colmar, 16 décembre 1918

« Hier dimanche, il a fait une belle journée, j’ai pu sortir. La ville était pleine de monde. Tout le monde a l’air d’être content d’être débarrassé des boches. Les gosses ne savent pas quelle politesse vous faire. Les gens vous disent qu’ils ont été malheureux. Ils n’avaient pas le droit de parler français, car ils les envoyaient en Allemagne. »

Sources : archives municipales fonds Cottier – L’ami de Rezé n°75 (décembre 2014)

Ils étaient aussi sur le front…

François Artaud, ouvrier tanneur de la Chaussée

Corroyeur,  François Artaud, né en 1880, fut mobilisé le 1er novembre et incorporé au 265e régiment d’infanterie. Il se bat sur le front, dans les tranchées.  En juillet 1916, il dégage des camarades ensevelis sous un abri, malgré un violent tir de barrage. Un courage qui lui vaut la croix de guerre qu’il nomme « l’encouragement aux vices ». François voue une haine profonde pour les chefs de guerre qu’il qualifie de « bandes d’assassins assoiffés de vies humaines », « buveurs de sang ». Il écrit à sa femme Marie le 9 novembre 1916 : « Pour la croix de guerre, écoute, j’en ai marre. Ne compte pas sur autre citation. (…) Cette bande d’assassins ne finiront pas la guerre avant qu’il ne reste plus personne. »

Gustave Rouxel, capitaine des pompiers

Habitant le Bas-Landreau, Gustave Rouxel était capitaine des pompiers et l’un des fondateurs de la société de gymnastique la Fraternelle. Ce comptable fut incorporé dans le 81e régiment d’infanterie territoriale. Depuis le Pas-de-Calais, sous les terribles bombardements d’Arras, il écrivit à son épouse Léontine et à ses enfants Yvon et Claude. Ses cartes postales sont accompagnées de commentaires laconiques. Il écrit à Yvon le 14 octobre 1915 : « Collectionne bien ces cartes postales, elles te rappelleront le souvenir d’une bien terrible guerre et aussi les bien mauvais jours que ton papa aura vécus. Je pense bien à toi et je serais si content de voir un peu ta petite frimousse. »

Tous les deux retrouveront  leurs proches. D’autres ne connaîtront pas ce bonheur. 300 soldats rezéens sont morts pour la France. Un traumatisme pour la ville qui recensait 9 244 habitants.

Si vous êtes en possession de documents (photos, textes, cartes, objets…) de la Grande Guerre, n’hésitez pas à contacter le service patrimoine et mémoire qui gère les archives municipales. Tél. 02 40 84 42 56.